Le
centre Européen de RMN à très hauts champs
devrait disposer du plus puissant spectromètre par
RMN existant
au monde, soit une puissance de 1
Giga Hertz. D'autres pays disposent dès à présent
de RMN à 900 Méga Hertz. Pourquoi cette course
mondiale à la puissance ?
Lyndon
EMSLEY : La RMN (Résonance Magnétique
Nucléaire) est une technique extrêment puissante
pour déterminer la structure des molécules et
obtenir des informations sur leur environnement. En utilisant
les propriétés magnétiques des noyaux,
elle permet de voyager au coeur de la matière et d'établir
une cartographie des atomes constitutifs des molécules
étudiées.
Cependant,
cette cartographie peut se révéler difficile
à interpréter. L'utilisation de champs magnétiques
de plus en plus intenses permet d'améliorer la sensibilité
et la résolution de ces appareils, autant de voies
pour accéder à des systèmes plus complexes
et à de nouveaux systèmes à l'échelle
nanométrique.
Quelles sont les perspectives
ouvertes par la RMN à très hauts champs ?
Lyndon
EMSLEY : On constate que tout au long de l'histoire
de la RMN, l'introduction de champs magnétiques de
plus en plus intenses a permis de révéler de
nombreux domaines d'application, parfois inattendus. Cette
technologie a révolutionné la chimie de synthèse
et la biologie structurale.
Elle apportera des développements importants en sciences
de la vie, (diagnostic précoce des maladies, pour les
cancers par exemple, découverte de nouveaux médicaments,
caractérisation des voies métaboliques, ...),
dans le domaine des matériaux (caractérisation
de nano-structures, matériaux technologiques, création
de biomatériaux, bio-senseurs,...), en environnement
(micro-analyse,...).
Avec
des perspectives aussi larges, on ne peut être étonné
que plusieurs chercheurs travaillant dans le domaine de la
RMN aient reçu ces dernières années le
Prix Nobel.
Pour
n'en citer qu'un, le
suisse Kurt Wüthrich a été ainsi récompensé
pour moitié du Prix Nobel de Chimie 2002 pour ses développements
concernant l'identification de la structure tridimensionnelle
des macromolécules en solution par RMN.
Ses recherches ont ouvert la voie de l'étude des protéines
en solution, c'est-à-dire dans un milieu proche de
leur environnement cellulaire.
Une avancée
significative : Kurt Wüthrich a été ainsi
en mesure de révéler pour la première
fois la structure tridimensionnelle de la protéine
appelée prion d'une souris, offrant de nouvelles perspectives
dans la compréhension de la maladie de la vache folle.
Quels choix stratégiques ont
été opéré pour positionner le
Centre Européen de RMN à très hauts champs
à l'échelle internationale ?
Lyndon
EMSLEY : Trois choix stratégiques ont guidé
la mise en place de ce projet.
Tout d'abord,
ce grand instrument est financé dans le cadre du plan
cancéropôle de l'agglomération lyonnaise
avec un investissement de plus de 18 M € de la part de
l'Etat, de la Région Rhône-Alpes, du Conseil
Général et de la Communauté Urbaine de
Lyon.
Un des objectifs de ce centre est de se positionner rapidement
au premier plan dans le développement de nouvelles
méthodes spectroscopiques et de calcul appliquée
aux diagnostics médicaux, notamment dans le domaine
du cancer. Ce centre sera ainsi un élément fort
d'innovation thérapeutique, en mettant à disposition
un outil d'amélioration des diagnostics médicaux
faits aux patients sur la base d'analyses réalisées
à grande échelle.
La pluridisciplinarité
constitue le second choix.
Historiquement
la plupart des centres de RMN dans le monde se sont construits
pour des applications en biologie structurale. Deux centres
à ma connaissance ont fait cependant le pari de la
multidisciplinarité : Le Pacific Northwest National
Laboratory et le National High-Magnetic Field Laboratory,
tous deux basés aux Etats-Unis.
En Europe, le Centre Européen de RMN à très
hauts champs sera le seul centre multidisciplinaire (biologie,
chimie, matériaux, santé, environnement) à
cette échelle. A
mon avis, cette polyvalence garantit l'adaptabilité
de l'outil à de nouveaux domaines non explorés
encore aujourd'hui. Ce centre réunira, par ailleurs,
sous le même toit des équipes de recherche en
RMN liquide et en RMN solide, deux secteurs clairement convergents.
Enfin,
ce centre sera ouvert à l'ensemble de la communauté
nationale et internationale des utilisateurs de la RMN, qu'il
s'agisse de chimistes, de physiciens ou de biologistes. Nous
visons à être reconnu dans ce cadre par l'Europe
comme large scale facility. Ainsi les chercheurs européens
pourront accéder encore plus facilement à notre
plate-forme qui comprendra
6 RMN à très haut champs, allant de 500 Mhz
à 1 Ghz.
Comment
va se mettre en place concrètement ce projet ? Quelles
sont les échéances ?
Lyndon
EMSLEY :
Ce centre verra le jour en 2006 à proximité
immédiate du Domaine Scientifique de la Doua, où
de nombreux laboratoires mènent des recherches dans
ce domaine. Le CNRS est le maître d'ouvrage.
Sur le terrain où sera implanté le centre sont
programmés aussi deux autres grands projets : la création
de l'Institut des Sciences Analytiques, avec des fortes interactions
prévues dans le domaine de l'environnement, et l'implantation
du groupement de Lyon du Cemagref.
Par
ailleurs, en février 2004, le 1er appareil du centre
est arrivé à l'Ecole Normale Supérieure
de Lyon : un RMN de 700 Mega Hertz, accessible dès
à présent à la communauté des
chercheurs français et européens.
|